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S2 - Chapitre 40 - Quand l'enfant paraît

Ce qu'il fallut de retenue et de contrôle à ceux de la Borde Perdue lorsqu'ils virent apparaître, par un beau matin de février, Hélène au bras de Louise ne pourrait se dire. Ce qu'il y eut de larmes, de sanglots étouffés, d'émotions débordantes, de sursauts dus à la surprise ne pouvait se comprendre qu'en sachant l'affection - pourtant tue mais tellement évidente à cet instant-là - que tous se portaient.


Gabriel, le frère jumeau de la revenante, toujours prompt à adopter une attitude bravache propre à son âge tituba pourtant avant que le sol ne se dérobât sous ses pieds. Le soulagement que provoqua la vision du retour d'Hélène agit sur lui comme la foudre et le plaqua au sol. Il prit sa tête dans ses mains.

Juliette, frêle silhouette sombre et recroquevillée près le cheminée, portant ses mains devant sa bouche, poussait de petites exclamations. Elle remerciait Dieu et tous les Saints, se signait. Elia avait appuyé ses deux mains sur la table près d'elle pour se soutenir.

Solange qui se tenait assise, le petit Henri appuyé contre elle, embrassa le garçonnet sur sa chevelure blonde comme pour sentir encore mieux sa présence près d'elle. Le sens de la répartie de Léonce même s'en trouva terrassé, sa fierté annihilée : ses yeux s'emplirent de larmes.


Germain s'octroya l'étrange privilège consistant à briser le silence :


Ven aqui pichona, dit-il simplement en désignant son épaule de sa main.


Elle hésita un instant puis vint s'y blottir. Elle était heureuse de retrouver son père même s'il était aussi - elle le pensait profondément - la cause de son départ précipité, la cause de tous les bouleversements que sa vie avait connus ces derniers temps.


Ils restèrent là, debout dans l'entrée, sans prononcer un mot.


— Tu nous as fait peur, murmura simplement Germain. Mais tu vas voir, ça va aller maintenant...

— Oui, on va s'occuper de toi, dit Elia qui s'était ressaisie en se rapprochant d'eux. Tu verras tu seras bien à la borde.


Hélène releva la tête et prononça doucement :


— Mais je ne vais pas rester, vous savez.


Ce fut un deuxième choc. Cette fois, l'éclair traversa tous les regards.


— Mais si, insista Elia. Tu vas voir, on va prendre soin de toi et tout sera comme avant.ce qui t'est arrivé, je ne dis pas que ça peut arriver à tout le monde mais... on fait tous des erreurs, des...

— Justement, je ne veux plus que les choses soient comme avant.

— Il t'attend quelque part, c'est ça ? Il est dehors peut-être ? Dis-lui d'entrer on va discuter ! s'exclama Léonce que la peur de la voir repartir aussitôt tenailla soudain.


Louise ne pensait pas que cette révélation de la part d'Hélène interviendrait aussi tôt dans la conversation. Elle savait bien, elle, que Marcel n'attendait pas Hélène. Au coin du feu, à la veillée à Montplaisir, Hélène lui avait tout raconté.

Deux ou trois jours avant, en se levant un matin chez Baptistine et Augustin, elle avait eu beau chercher dans l'étable où ils dormaient, dans la cuisine, autour de la ferme, Marcel avait disparu. Elle s'était dit dans un premier temps qu'il était parti chercher de bonne heure pour chercher une place dans quelque métairie alentours. Et puis, en rentrant, bredouille, elle avait croisé le regard du couple âgé, installé à la table et elle avait compris.


— Ne cherche pas va, petite. Tu ne le trouveras pas, avait simplement dit Augustin.

— Marcel est de ces oiseaux qu'on n'enferme pas. ll a repris sa liberté, avait ajouté Baptistine en la prenant dans ses bras.

— Mais... Mais je... Je ne comprends pas...

— Il t'a laissé une lettre, avait dit le vieil homme en sortant une feuille de sa poche.

— Mais Marcel ne sait pas écrire ! avait-elle hurlé en se dégageant de l'étreinte de Baptistine.


Il y avait eu un échange de regard, un peu long, un peu maladroit entre Augustin et sa femme.


— Il... il me l'a dictée hier après-midi alors qu'il était sûr de sa décision, avait-il alors simplement dit.

— Mais pourquoi tu ne l'as pas retenu Augustin ou pourquoi tu ne m'as pas prévenue ?

— Parce qu'il m'a demandé le secret et que pour moi, la parole donnée, c'est sacré.


Voilà donc le trésor qu'Hélène tenait enfoui au fond de sa poche en revenant donner des nouvelles aux siens. Ces quelques lignes de Marcel, elle les connaissait maintenant presque par coeur.


Ma chère Hélène,

ce que nous avons vécu, personne ne pourra plus nous le reprendre. Mais tu le vois bien, aujourd'hui, quelque chose entre nous n'est plus comme avant. Je ne peux pas t'obliger à m'aimer, je ne peux pas t'obliger non plus à ne plus penser aux tiens Les doutes qui se sont installés chez toi, comme chez moi auront eu finalement raison de nous.

Je vais reprendre mon chemin, c'est mieux ainsi. Nous ne devons avoir aucun regret. Oui, je reprends mon chemin mais je ne t'oublierai pas.

Et je sais que si tu te fais confiance tu pourras avoir une belle vie, ma petite Hélène.

Embrassades tendres

Marcel


Personne à la borde au moment où elle reparut ne pensa à faire un quelconque reproche à Hélène. Tous sentaient bien que l'instant était trop fragile comme ces pellicules de glace à la surface des abreuvoirs les matins de gelée légère et qu'un rien ne brisait pour rendre à l'eau sa liberté.




L'émotion passée, Hélène s'était installée à la table familiale. Tous la regardaient avec une avidité gourmande comme si leurs pupilles avaient dû soudain se repaître de son image qui leur avait tant manqué.


Louise s'approcha d'elle, posa une main sur son épaule avant de murmurer :


— Tu peux leur dire, maintenant.


On voyait bien que la jeune fille cherchait ses mots, qu'elle était intimidée. Malgré cela, sa détermination semblait sans faille :


— Je suis revenue pour vous dire que je vais bien. Je m'en voulais de l'inquiétude que je vous donnais, de ce mouron qui devait vous empoisonner l'existence. Je me suis dit qu'une lettre, ce n'était pas assez. Qu'il fallait que nous parlions...

— Tu reviens pour nous dire que tu repars en quelque sorte ? On aura tout vu, cingla Léonce qui ne put s'empêcher.

— Tu n'as vraiment plus de considération pour nous autres ici ? siffla Gabriel, retrouvant ses esprits


Pareille assertion aurait dû la faire fondre en larmes, ce ne fut pas le cas. Elle affichait un visage impassible. Juliette qui n'avait rien dit jusque là tança les deux hommes :


— Elle est venue nous parler alors laissez-la s'exprimer ! Si vous devez l'interrompre à chaque phrase... paura pichona...


Hélène se racla la gorge avant de reprendre :


— Gaby, tu crois que je serais là si, comme tu le dis, je n'avais pas de considération... quel mot affreux d'ailleurs. On parle d'affection ici, de sentiments ! Mais ici, de ça, on n'en parle jamais justement... Je suis partie sur un coup de tête, c'est vrai mais vous n'avez pas voulu voir ce que je ressentais pour Marcel. J'ai essayé de vous l'expliquer mais vous n'avez pas voulu entendre. Vous étiez trop en colère, tous drapés dans votre fierté mal placée.


Germain se fit plus grave :


— Hélène, ma fille, je ne sais pas si tu es au courant mais Marcel est sans doute...

—... l'incendiaire des métairies de Belloc. oui, je le sais. Et ça a précipité notre fin quand je l'ai découvert. Je n'ai pas pu me faire à l'idée qu'il était responsable de ce que vous aviez enduré une fois de plus : le poids du soupçon, le poison de la rumeur, le regard des gens et ça nous a éloignés.

— Qu'est-ce qu'on t'avait dit hein ? Mais tu ne nous a pas crus ! s'étrangla Gabriel.


Hélène ne réagit toujours pas. Elle semblait décidée à aller au bout de son propos sans se laisser perturber par les scories conversationnelles.


— Tu as changé petite, reconnut Elia avec un sourire triste.

— Si mûrir c'est changer alors, oui j'ai changé. J'ai perdu Marcel mais je sais ce que je veux faire de ma vie.

— Comment ça ? Ce que tu veux faire de ta vie ? Ici on est fermières de génération en génération, Qu'est-ce que c'est que ces fantaisies ? renchérit la vieille femme.

— Je savais qu'on n'arriverait pas bien à se parler...


Louise intervint :


— Essayez de l'écouter, sans l'interrompre... Jusqu'à la fin...

— Mais comment veux-tu... commença Léonce.

— Maintenant ça suffit ! s'imposa Germain. On la laisse aller jusqu'au bout. On ne lui coupe plus le sifflet Personne. Ou alors... ou alors vous sortez.


Ils se turent mais il y eut des regards froncés, des becs tournés, des mines renfrognées, des épaules haussées d'un tic nerveux. Résignés, Léonce et Elia se calèrent sur leur chaise et attendirent la suite.


— Marcel m'a laissée mais je n'ai pas tout perdu. J'ai rencontré là-bas dans la Montagne Noire, un couple de vieilles personnes, Augustin et Baptistine. Ils vivent un peu à l'écart des autres. Mais on vient souvent à eux, enfin surtout à elle. Baptistine est guérisseuse. Elle sait les plantes, elle connaît les secrets qui soignent. Elle a commencé à me transmettre son savoir pour que moi aussi je puisse...

— Devenir une rebouteuse ? compléta Léonce qui n'avait pu se sentir très longtemps en levant les bras au ciel. Une rebouteuse ? C'est ça que tu veux faire de ta vie ? Mais quelle est cette folie ?

— Tu étais bien content d'en trouver un de rebouteux quand tu t'es blessé à la cheville pour les vendanges non ? s'étonna-t-elle faussement

— Il ne m'a presque rien fait... j'ai continué à avoir mal.

— Ce n'est pourtant pas ce que tu disais !


Cette fois, le clou était rivé, Léonce baissa pavillon.


— Tu vas encore nous laisser ? Comme tante Louise l'a fait ? demanda Gabriel

— Je ne laisse personne. Et tante Louise non plus. Nous continuons notre vie, là où nous pensons devoir la mener.


Louise s'était émue d'être ainsi percée à jour.


— Tu veux en fait que je t'autorise... commença Germain.

— Pardon, pauvre papa, ne le prends pas mal. Mais je ne demande pas d'autorisation. Je vous informe de ce qu'il va se passer parce que je l'ai choisi. Demain soir, je serai repartie. Et j'espère que vous viendrez me voir parfois, le dimanche comme moi j'essaierai de venir vous rendre visite.

— Tu as dix-huit ans, ma fille, tu es mineure...

—  Mais tu sais maintenant, papa, que lorsque je l'ai décidé, rien ni personne ne m'arrête...


Le silence de la sidération régna un long moment dans la pièce. La fermeté d'Hélène ne laissait aucune place à une quelconque argumentation.


Ce calme fut déchiré par un petit cri soudain. On ne sut jamais si c'était sous l'effet de la surprise, celui des émotions mêlées ou si simplement l'heure était venue mais Solange, que personne n'avait entendue depuis le début, le visage crispé par la douleur, perdait les eaux.


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour l'épilogue de cette saison 2, intitulé "L'été des Bourrel"


Bientôt, le feuilleton "Ceux de la Borde Perdue" sera édité. Le livre sera disponible chez votre libraire et les plateformes habituelles dans quelques mois. Encore un peu de patience... Renseignements mail : contact@bordeperdue.fr


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Un grand merci à Berthe Tissinier pour la photo d'illustration.


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