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S2 - Chapitre 36 - De vieilles gens

Baptistine et Augustin Cami ne travaillaient plus la terre depuis longtemps. Ils habitaient au lieu-dit Loustau, une petite maison de pierre isolée dans les contreforts de la Montagne Noire. Augustin percevait, depuis plusieurs années déjà, la retraite vieillesse après une vie de labeur à conduire les boeufs et les chevaux pour tracer des sillons et faire lever le grain de la terre. Elle leur permettait de vivre, certes chichement, en puisant, de temps à autre, dans les maigres économies qu'ils avaient pu faire. Ils continuaient à élever quelques lapins, des volailles pour compléter leurs repas et en vendre le surplus au marché de Revel.

Augustin ajoutait aux rations quotidiennes le produit de ses déambulations car il était chasseur mais ses forces ne lui permettaient plus de partir en quête de lièvres, garennes et perdrix autant que par le passé. Pourtant il continuait avec une assiduité qu'on lui admirait :


— ça me maintient en forme, disait-il de sa voix tonitruante en faisant rouler les R comme des pierres calcaires dans une pente lauragaise.


Il braconnait aussi un peu, à ses heures perdues - et elles étaient nombreuses - mais c'était un sujet qu'il évitait d'aborder ou alors parfois, sous cape, au café revelois avec quelques vieilles connaissances qui l'approuvaient d'un regard complice. Baptistine et lui ne parlaient entre eux que l'occitan languedocien. Ils ne pratiquaient le français qu'avec l'administration ou avec les jeunes gens qui maniaient la langue locale de moins en moins à leur grand dam


Baptistine était la reine des herbes sauvages qu'elle cueillait au moment de l'année le plus opportun pour chacune d'entre elles, les faisait sécher avec grand soin et les conservait dans des boîtes en fer et bocaux car elle savait les utiliser pour soigner. Elle n'avait pourtant pas besoin de plante pour faire cicatriser une plaie ou atténuer la douleur causée par une brûlure car elle possédait le secret. On venait d'ailleurs d'assez loin la voir pour soulager les maux de la vie courante.


Depuis un peu plus d'une semaine, leur quotidien réglé avait été considérablement bousculé par la découverte qu'avait faite Augustin, un soir de neige.

Quelques jours plus tôt, il avait été intrigué quand, à la poursuite d'un lapin agile, il avait remarqué des traces dans la neige de la clairière. Les passages étaient multiples et menaient tous à la borde d'En Pouget. Cette métairie, même lui ne se souvenait plus depuis quand, elle avait été abandonnée aux ronciers et à son destin de ruine. Trente ? Peut-être même quarante ans... Les terres avaient été rachetées par une famille de propriétaires terriens pour être rattachées à leur domaine aussi la fermette, située au bout d'un chemin trop pentu et assez peu pratique d'accès, avait-elle été laissée à l'abandon, faute d'utilité. Les animaux et les plantes sauvages en étaient devenus les seuls propriétaires facétieux et le délabrement avait peu à peu gagné la construction pourtant coquette autrefois. Comme si peu à peu la montagne douce l'avalait.


Augustin n'aimait rien tant qu'observer la nature et les hommes aussi durant les jours qui suivirent il se mit à épier l'activité autour de la petite ruine enneigée. Les allées et venues étaient celle d'un jeune couple qui semblait avoir trouvé refuge là.


Ainsi, un soir où il faisait très froid, il avait décidé de les en déloger. Pas pour les chasser mais au contraire par solidarité, pour leur proposer refuge. De ce qu'il avait pu observer, la jeune fille avait l'air bien triste et démunie tout au long de ses interminables journées et le jeune homme qui s'absentait en quête de quelques repas - ou de travail peut-être ?- avait l'air lui-aussi fort préoccupé.


— Quand je pense à ces deux pauvres hères, là-haut dans le froid, avait-il dit à Baptistine, ce soir-là au coin du feu.

— Pourquoi ne vas-tu pas les chercher ? lui avait-elle simplement demandé sans se poser d'autre question.


Alors, il s'était habillé chaudement, avait sifflé le chien et pris une lampe avant de s'éloigner dans l'obscurité.


Lorsqu'il était entré dans la vieille maison, un quart d'heure plus tard, Hélène et Marcel avaient eu la peur de leur vie d'autant que la voix grave d'Augustin était impressionnante. Mais la frayeur passée, il leur avait parlé avec douceur, leur avait raconté s'être aperçu de leur présence avec leurs pas dans la neige, confirmée par la fumée s'échappant de la cheminée.


L'émotion passée, Hélène et Marcel, affamés, transis et un peu à bout de forces, s'étaient laissés convaincre par les paroles du vieil homme. A la hâte ils avaient réunis leurs rares affaires et s'étaient élancés à sa suite dans le noir avec pour seule boussole la lueur tremblante de la lanterne que tenait le vieil homme tandis que le chien leur faisait la fête en bondissant autour d'eux.


A cet instant, avaient commencé les jours les plus importants de leur échappée. Lorsqu'ils arrivèrent, Baptistine avait réchauffé sur la plaque de fonte les restes de la soupe du jour, elle embaumait la petite maison chaleureuse d'un parfum accueillant. L'intérieur était fruste mais Baptistine avait apporté beaucoup de soin à le rendre gracieux. Sur des étagères recouvertes de napperons délicats qu'elle avait faits elle-même étaient alignés boîtes et bocaux de sa science médicinale. Des étiquettes à l'écriture soignée en indiquaient les contenus. Il régnait un sentiment d'ordre et de propreté qui rassurait le visiteur.


— Débarrassez-vous de vos affaires et installez-vous pauvres petits, avait-elle dit pour toute forme de salut. Vous devez être affamés.


Ce n'était rien de le dire. Ce soir-là, ils se régalèrent comme s'ils n'avaient jamais mangé de leur vie entière. La soupe leur réchauffa le corps et le coeur Dans un coin de l'étable, dans laquelle subsistaient deux vaches qui faisaient l'objet de mille soins par Augustin, ils dormirent d'un sommeil qui n'avait plus été aussi profond depuis des semaines; Ils l'ignoraient encore mais les deux jeunes gens débutaient un chemin immobile qui les feraient avancer plus que toute la distance qu'ils avaient parcourue jusqu'alors.




Dès les premiers jours, Hélène et Marcel sentirent cette pause comme bienfaisante et revigorante. Pendant les heures claires de la journée, les deux hommes couraient les collines et les cours d'eau rapportant quelques gardons pour une friture, deux ou trois truites un matin, des lapins, un faisan ou des perdreaux le lendemain.


— Tu es doué et très rapide. Ah la fougue et l'agilité de la jeunesse, s'exclamait parfois Augustin en lui tapant sur l'épaule.


Hélène, elle, aidait autant qu'elle le pouvait Baptistine. La vieille femme lui disait le secret des plantes, les mélanges qu'il fallait boire en tisane contre un refroidissement. Elle extirpait les délicates feuilles séchées des bocaux pour les faire observer à la jeune fille, les faisait craquer sous ses doigts pour que le parfum s'en exhalât. Elle lui indiqua les pousses qu'on utilisait pour les décoctions, celles qu'on utilisait pour des macérations ou d'autres encore qu'on travaillait en onguents pour la cicatrisation des plaies ou pour calmer des brûlures, le millepertuis que Baptistine appelait trescalan, le souci des jardins qu'elle nommait gaug.


A la grande surprise des jeunes gens, rien ne leur fut demandé, ni d'où ils venaient ni leur but ni pour quelle raison ils s'étaient isolés dans la vieille ferme. Pas plus Augustin que Baptistine ne semblait préoccupé par ce qui les avait conduits jusqu'à eux. Hélène et Marcel voyaient bien que le couple vivait modestement presque dans le dénuement et qu'ils ne pourraient les héberger très longtemps.


Mais cette heureuse parenthèse, dans leur escapade, leur réchauffait le cœur et ils se laissaient porter volontiers.


Hélène tenta bien le troisième jour de dire à Baptistine :


- Nous ne pourrons jamais vous...


- Chut, petite Hélène ! Je n'ai pas besoin de mots pour savoir ce que tu penses, tes yeux me le disent. Passe moi le bocal de sauge...


La fermette avait retrouvé plus de vie et d’activité qu'elle n'en avait connu au cours des dernières années. Baptistine et Augustin qui n'avaient jamais eu d'enfant se régalaient des échanges spontanés qu'ils entretenaient avec les jeunes gens.


Cependant, Hélène, perspicace, sentait bien que viendrait le moment où il faudrait qu'elle racontât son chemin. Elle en éprouvait même le besoin tant elle se sentait désormais égarée. Ce n'était pas cela dont elle avait rêvé en suivant Marcel. Ce quotidien pétri d'hésitations, d'incertitudes, de peurs parfois, celles du lendemain, celles liées à leur survie immédiate. La nuit de leur départ de la Borde Perdiue, les deux amoureux étaient certains de trouver une embauche, un quotidien sinon facile mais qui leur aurait permis de laisser leurs sentiments s'épanouir au grand jour.

Au lieu de cela, ils avaient erré d'imprévus en situations précaires et rien, plus rien ne se dessinaient devant eux. La période hivernale ne se prêtait pas à trouver une place et même Marcel avait changé au fil des jours et des déceptions. Il se montrait plus distant et l'optimisme qu'il affichait qui avait tant de fois servi de rempart à Hélène semblait peu à peu se dissiper en même temps que les marques de son affection. Hélène s'en trouvait meurtrie, perdue. Elle percevait confusément en partageant son quotidien que Baptistine saurait l'écouter. Elle soignait les blessures du corps mais la jeune femme était persuadée qu'elle possédait aussi des secrets pour apaiser les tourments de l'âme.


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le trente septième épisode de cette saison 2, intitulé "Un destin lauragais"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog

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