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S2 - Chapitre 29 - D'un vieux moulin à l'abandon

Le goût de la liberté était un peu âcre. Comme si, à la mixture enivrante envisagée, on avait finalement mélangé une poignée de cendres ou deux.

Hélène et Marcel avaient passé les jours avant Noël puis les suivants dans le vieux moulin dépourvu d'ailes. Voilà que les premières lueurs de 1953 apparaissaient et ils étaient toujours là. Envisagée comme solution d'attente cette vie, bien que rude, avait été tout à fait acceptable mais le départ de la péniche les avait privés d'horizon et désormais tout devenait plus complique. Il fallait bien se rendre à l'évidence.

Non qu'ils fussent, pas plus l'un que l'autre, habitués à une vie douillette, au contraire mais sans projet, le quotidien devenait plus rugueux. Bien-sûr, Marcel était habile à la rapine. Près des métairies, il prélevait une volaille, des oeufs ou quelques légumes lorsque la nécessité se faisait trop ressentir sans que jamais on le vît. Il n'était qu'une ombre. Une ombre parfois poursuivie par le cabot de la ferme dont les canines frôlaient ses mollets musclés... D'autres fois, il posait des collets où se prenaient quelques oiseaux étourdis parfois des lapins de garenne mal dégrossis mais qui contentaient les estomacs lorsqu'ils étaient grillés au feu. Car Hélène, pendant ce temps, ramassait du bois. Mais subsister, dans ces conditions, était une préoccupation de chaque heure. et il était des jours moins chanceux où la pitance était maigre, fort fort maigre. Et si, durant le premiers temps, la passion qui les avait emmenés loin de la Borde Perdue avait aplani les aspérités, les difficultés, les inquiétudes, les peurs-paniques même ; plus les jours passaient et moins l'effet de son baume se faisait-il ressentir.


Aussi y avait-il avec une fréquence accrue des moments de tension. Quelques algarades pour lesquelles ils s'excusaient ensuite avec la fougue de la jeunesse.


Le découragement apparaissait quelquefois.


— Mais qu'est-ce qu'on va faire ? se lamentait souvent Hélène.


Fuir était la réponse invariable.


Car fuir constituait la seule ébauche de projet. Se rapprocher du Canal du Midi leur avait permis d'entrevoir la solution de la péniche mais il avait été ardu de convaincre un capitaine. Et le plan s'était effondré comme un château de cartes avec la venue de Gabriel et Germain . Comment diable avaient-ils pu savoir ? se demandèrent longtemps après les tourtereaux. Cette solution, outre la difficulté de convaincre un marinier, ne leur paraissait plus très sûre. La personne qui avait informé les Bourrel une fois, ne les informerait-elle pas une seconde ? Cette fois, ils avaient eu de la chance et ne les avaient pas croisés. Mais cela durerait-il ?


Si la faim les poussait parfois à l'imprudence, il était un autre compagnon tenace : le froid. L'humidité ambiante imprégnait les vêtements et l'air glacé franchissait la barrière des épidermes pour atteindre même les os.


— Ce n'est pas une vie, ça ! s'agaçait parfois la jeune femme en grelottant devant le feu malhabile allumé devant le moulin.

— Non ce n'est pas une vie, c'est juste un petit moment de transition. Tu verras, on sera heureux... la réconfortait Marcel en l'entourant de ses bras.


Elle aurait pu être plus inquiète encore si elle avait su ce que savait désormais son père depuis la visite des gendarmes.




Lorsque Germain avait relaté la teneur de ses échanges, ceux de la borde en étaient restés comme sidérés.


Car durant l'entrevue dans la Juvaquatre, la discussion entre Germain et les gendarmes avait été riche d'enseignements.

Sous certains aspects, cette conversation avait été même été rassurante.

Les premiers temps bien-sûr l'acharnement d'un homme à la stature de Belloc qui désignait les coupables avec l'assurance que tous lui connaissaient avait déstabilisé les enquêteurs.

Ils en convenaient eux-aussi : ces métayers partis un peu précipitamment après plus de vingt ans d'exploitation de la borde d'En Peyre et exprimant une détestation aussi vive de leur ancien patron constituaient des suspects tout désignés.

Les deux hommes en arme l'admettaient, ils l'avaient cru eux-aussi, cherchant même absolument à le démontrer. Et l'attitude récalcitrante de la famille lorsqu'ils les recevaient ne plaidait pas en leur faveur.


— Sacré caractère que celui de votre père, avait dit le grand maigre dont le képi touchait le haut du véhicule à Germain tout en regardant Léonce manipuler une fourche avec une indifférence simulée.


Pourtant, des ombres étaient venues s'interposer dans la résolution de cette affaire a priori limpide. Les Bourrel étaient des gens étranges, poursuivis par la maffre aux dires de beaucoup à Penens et qu'en conséquence on ne fréquentait pas trop de peur que leur malheur ne fût contagieux. Mais en dehors de cela, nul ne leur connaissait aucune tache sur leur probité. Ils étaient considérés comme des travailleurs acharnés. Bien-sûr Léonce était un peu porté sur la bouteille, admettaient certaines mauvaises langues mais ce penchant ne faisait pas de lui un criminel. Il était un honnête homme qui noyait parfois les malheurs familiaux dans le distillat. Voilà tout. Non, l'incendiaire n'était sans doute pas de la famille.


Ces éléments auraient dû rassurer Germain mais ceux qui suivirent le plongèrent dans la plus grande perplexité.


Malgré les relances et les pressions de Belloc pour diriger l'enquête vers les Bourrel, d'autres pistes avaient été envisagées. Les métayers dont les hangars puis les cabanes avaient flambé ne s'étaient pas reconnus d'ennemis dans un premier temps. Mais à force de questions et d'interrogatoires, ils avaient reconnu quelques algarades et opposition avec certains de leurs journaliers.

Les brassiers s'étaient ainsi succédés assez rapidement trouvant le traitement infligé inadmissible : mal nourris, mal logés et parfois les émoluments promis n'arrivaient pas au prétexte d'une tâche mal exécutée ou ayant pris trop de temps à leur goût.


L'un des derniers qui se partageait entre les deux fermes au moment où il avait découvert seulement la moitié de la somme promise dans l'enveloppe s'était montré particulièrement véhément. C'était un jeune homme fougueux dont l'injuste traitement avait provoqué l'ire bruyante. Mais Félix Amat, le métayer d'en Peyre, ne s'était pas laissé impressionner accusant le jeunot de fainéantise, de roublardise pour ne pas compléter la somme attendue.


Le jeune homme avait voulu se battre mais lorsque les métayers des deux bordes réunis lui avaient promis une raclée dont il se souviendrait, il avait dû battre en retraite.


— Vous ne l'emporterez pas au paradis. Voler de pauvres gens comme moi, leur desgalhar la santé au travail pour ne pas les payer, ce n'est pas honnête, vous le regretterez, avait-il menacé.

— Va donc ! Va voir ailleurs si tu trouves des patrons plus patients que nous autres ! avaient aboyé les deux comparses.

— Vous le paierez au centuple ! Faites bien attention à vous et à vos fermes !

— Tu nous menaces ?

— Je vous dis simplement que le solde se règlera ! A bon entendeur !


Mais il n'avait jamais revu le jeune homme et une quinzaine de jours plus tard, le premier incendie s'était déclaré.

Dans l'affolement et le drame provoqué, ils n'avaient d'abord pas établi la relation entre l'altercation et l'incendie. Puis ils avaient commencé à en parler entre eux, trouvant cependant l'hypothèse un peu farfelue. N'étant pas fiers de leur comportement répréhensible, ils n'avaient pas osé en parler aux gendarmes.


Mais il avait fallu se rendre à l'évidence. il y avait un lien, à n'en pas douter entre les deux événements.


— Et vous avez retrouvé ce type ? avait demandé Germain, éberlué aux deux pandores.

— Pas encore. Mais si nous sommes là, c'est parce que vous pouvez nous aider, lui avait répondu le plus rond.

— Moi ?... Mais je...

— On ne vous accuse de rien, Monsieur Bourrel. Mais vous pouvez certainement nous éclairer...

— Je le connaîtrais ?

— Oui...

— Quel est son nom ?

— Marcel... Marcel Castet...

— Marcel ? Mais...


La foudre s'était abattue à cet instant sur la tête de Germain Bourrel. Il avait immédiatement compris le danger supplémentaire que cela représentait pour Hélène. Elle fuyait avec l'incendiaire des métairies Belloc qui lui-même fuyait peut-être les gendarmes.


— Nous savons que vous êtes son employeur depuis quelques semaines, pourriez-vous nous indiquer où il est aujourd'hui ?


Pour la première fois depuis longtemps, alors qu'il avait tenu face à bien des aléas, Germain s'était effondré. Il avait pris sa tête dans ses mains.


— Si seulement je le savais... était-il parvenu à articuler. Si seulement...


Il avait alors fallu expliquer aux gendarmes ce qui arrivait. Tout.


— Mais pourquoi ne nous avoir rien dit lors de notre dernière visite ?

— Parce qu'on veut que les histoires de famille se règlent en famille. On est comme ça nous autres.


La problématique prenait pourtant un tour nouveau. Et si Hélène avait été sa complice ? Germain avait chassé cette idée d'un hochement de tête avant de de descendre de la Juvaquatre.


Qu'allait-il pouvoir faire maintenant ?


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le trentième épisode de cette saison 2, intitulé "Le poids du soupçon"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Merci à Bruno Alasset pour la photo d'illustration.

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