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S2 - Chapitre 19 - Frimas et tracas de décembre

Léonce remonta à la Borde Perdue un peu avant midi, presque guilleret.

Au moment de se séparer, un peu penauds et honteux de la piteuse bagarre qui les avait opposés, Etienne Pech et lui étaient convenus de se revoir pour avoir une discussion posée, sans coup de sang. Les mots n'avaient pas été prononcés mais il s'agissait d'une promesse tacite, d'un serment muet entre les deux hommes. L'estime qu'ils se portaient mutuellement avait ressurgi soudain comme un sursaut salvateur après le départ du garde champêtre.

Lorsqu'il arriva dans la cour, Germain sortait de l'étable. Il venait de soigner les genoux des boeufs après les avoir menés boire. L'un d'eux présentait un léger vessigon aussi Germain avait-il préféré les examiner. La seule paire qui restait à la borde en devenait d'autant plus précieuse. Le McCormick facilitait certes la vie mais n'accédait pas aux petites parcelles nichées entre deux friches dans les collines un peu pentues, pas plus qu'il ne se glissait dans les rangs étroits de la vigne.


— Alors ? lança-t-il à Léonce.

— Ben rien !

— Tu n'as rien vu ? Ou tu as manqué le gibier ?

— Rien je te dis, le calme plat. Si j'avais vu du gibier, crois-moi, je l'aurais rapporté !

— Et tu ne rentres que maintenant ?

— C'est, qu'avec ma jambe, je ne me déplace pas très vite...

— Tu as pourtant déchiré la poche de ta veste...

— Ah... Oh... ça ? c'est u... une ronce....


Léonce avait décidé de mettre son algarade matinale sous le boisseau. Elle était sans conséquence et il jugea inutile de rendre encore plus confuse la situation familiale suffisamment tendue sans que nul n'en rajoutât.


— Bon, où est Gabriel ? Il faudrait bien qu'on s'organise pour demain, Tu te souviens que je ne suis pas là ? Fernand m'attend pour fureter sous le bois de sa borde.

— Ne me demandez rien pour demain ! signifia Léonce avec fermeté. Je laboure la vigne jeune qui n'attend que ça. Enfin, si le temps ne change pas. Cette météo sans le moindre vent ne me dit rien qui vaille... Si l''autan ne réussit pas à rentrer, il pleuvra dans la nuit... La lune en novembre a changé avec le mauvais temps, ne l'oublions pas. Et la prochaine ce mois n'est que le 17....

— Tu vas labourer ? Avec ta jambe ?

— Ecoute, elle a tenu à la chasse, elle tiendra bien pour labourer la vigne...

— Sinon... on pourrait demander à Marcel ? On verrait bien si...

— Tu es pirol ou quoi ? On ne va pas confier les boeufs et la charrue à ce petit. Non. Et puis, la vigne, c'est mon domaine, personne n'y touche...


Germain était perplexe sur la capacité de son père à mener à bien l'entreprise mais connaissant sa susceptibilité, il hésitait à insister davantage.


— Ta mère prendra l'autobus pour aller au marché de Castelnaudary pour vendre les oeufs. Elle prendra aussi des pigeons et deux paires de poulets dodus.

— Mais pour la vigne jeune, tu es sûr que...


Gabriel tomba à point nommé pour faire une diversion.


Hep, pichon, veni ! l'interpella Léonce.

— C'est pour mon lundi matin hein ? demanda-t-il en s'esclaffant.


Il connaissait cette vieille habitude de son père et de son grand-père qui consistait à planifier les premiers jours de la semaine, le dimanche un peu avant midi. Pourquoi à ce moment-là ? Nul ne le savait mais ce moment faisait partie de la routine familiale et on y dérogeait rarement.


— Il faudrait labourer le champ du hangar on y sèmera la paumelle.


Cet orge dont les épillets moyens donnent des grains sur deux rangs faisait chaque année l'objet d'une grande attention chez les Bourrel.


— Ah oui ! s'enthousiasma Gabriel.

— Tu étais moins empressé l'année dernière, railla Léonce.

— Oui mais l'année dernière nous n'avions pas de tracteur ! Alors que cette année il y a le CD18...


Et il partit en courant sans même finir sa phrase avec cette fougue débordante et si caractéristique de la jeunesse.


— Mamie, on mange ? J'ai faim ! cria-t-il dans le couloir.




Le même matin, à Montplaisir, Louise s'était vêtue de sa robe des dimanches, celle qu'elle avait rarement l'occasion de mettre. C 'était une robe épaisse et sombre de drap lourd qu'elle possédait depuis quelques années. Elle soulignait sa silhouette avec une élégance dont la jeune femme n'avait pas conscience. Après avoir attaché ses cheveux en chignon, elle la revêtit à contrecoeur suite à une discussion qu'elle avait eue la veille au soir avec son patron.


Angelin Lavalette avait montré beaucoup de fermeté, ce qui l'avait un peu contrariée.


— Louise, lui avait-il dit, cette fois, je ne vous laisse pas la choix !

— Mais Angelin, à quoi bon...

— A quoi bon discuter Louise ? C'est ainsi et pas autrement. Vous prendrez votre dimanche, vous n'en avez pris aucun depuis des mois...

— Mais Angelin et les enfants ?

— Les enfants survivront une journée sans vous et moi-aussi, j'arriverai à m'occuper d'eux n'ayez pas de crainte. Vous ne trouverez personne mort de faim ou de soif à votre retour...

— Mais papa, puisqu'elle te dit qu'elle veut rester avec nous, avait insisté Miette en se serrant contre la jambe de Louise.

— Dis donc toi ? avait-il faussement rouspété en prenant la petite fille dans ses bras, ne viens pas déstabiliser davantage notre Louise qui n'a pas besoin de ça. Elle aura son dimanche et puis voilà...


Ainsi Louise avait-elle renoncé à discuter et avait formé quelques projets pour son dimanche sans grand entrain. Elle se dit qu'elle irait à la messe et peut-être pousserait-elle jusqu'à la Borde Perdue pour prendre quelques nouvelles. Mais cette journée, vide de toute tâche du quotidien, l'inquiétait plus qu'elle ne l'enthousiasmait.


Assister à la messe lui permit de se retrouver un peu, elle aimait se recueillir ou plutôt méditer ayant un peu l'impression, en plongeant dans ses pensées, qu'elle se retrouvait ainsi à l'écart du monde. Elle n'en avait guère le temps au quotidien. Les travaux de la ferme l'accaparaient, s'occuper de Miette et de Virgile prenait le reste de sa journée. Et lorsqu'elle s'effondrait enfin sur son lit, le sommeil l'emportait bien vite surtout depuis que ses tourments s'étaient un peu apaisés. Elle ne fut pas très attentive ni à l'homélie ni aux prières d'ailleurs, repensant aux dernières semaines écoulées; Elle savait gré à Angelin de sa grande bienveillance à son endroit, Elle était reconnaissante aux enfants de lui rendre la vie plus gaie et aussi aux garçons, Anselme et, qui entre deux tâches de travail n'étaient jamais en reste de facéties. Ce contexte joyeux avait joué le rôle de baume sur ses plaies et Louise avait l'impression de se tranquilliser, de trouver la vie moins rugueuse qu'elle ne l'avait été au cours des derniers mois à la Borde Perdue.

Bien-sûr, Hélène et Gabriel lui manquaient mais Miette et Virgile étaient si pleins de vie et de curiosité qu'elle se laissait entraîner dans le sillage de l'enfance. Elle retrouvait auprès d'eux ses réflexes protecteurs et cela la rendait réellement heureuse. Ou si ce n'était pas du bonheur, c'était un sentiment qui l'approchait.


Son coeur blessé n'oubliait pas Germain mais la douleur était moins vive et lancinante. Tapie dans l'ombre, elle resurgissait moins souvent, semblait s'assoupir. Aussi ce dimanche de liberté donnait-il un peu le vertige à Louise. Aller à la Borde Perdue l'après-midi lui permettrait certes de prendre des nouvelles de Léonce depuis l'incident de la charrette, des jumeaux mais la perspective de revoir Germain, en revanche, l'inquiétait. Ne laisserait-elle pas happer à nouveau vers l'abîme des sentiments ?


A la sortie de l'église, Louise s'attarda un peu sur le parvis mais, très rapidement, la teneur des conversations la précipita plus loin. Les incendiaires de Penens tenaient le haut des préoccupations et s'insinuaient dans tous les échanges. On mettait même leur absence à la messe du jour - et aux précédentes - au rang des preuves de leur culpabilité.


— S'ils n'avaient rien à se reprocher, ils seraient là non ? Alors de quoi ont-ils peur s'ils n'ont rien fait ?


Ces mots cinglants étaient prononcés par une très vieille femme qu'elle ne connaissait pas et le sang de Louise se glaça. Un moment, elle pensa intervenir.


— A quoi bon ? se demanda-t-elle. Ils les veulent coupables de toute façon.


Cette injustice lui tira des larmes qu'elle tenta de dissimuler en baissant la tête. Elle avait beau, lorsqu'elle y pensait, se répéter les mots de l'instituteur qui lui avait expliqué que les Floracais n'étaient pas si mauvais qu'elle le pensait, elle ne parvenait pas à s'en convaincre.


Louise s'appuya sur un muret de pierre pour reprendre ses esprits. Elle serrait ses poings si fort que ses ongles s'enfonçaient dans la paume de ses mains. Entendant un groupe de paroissiens venir à sa suite, elle s'éloigna à la hâte. A l'angle de la rue droite qui menait à la placette de la Mairie, elle ne put éviter le choc et faillit tomber à la renverse.


C'était un pâle dimanche de décembre, un de ces dimanches au cours desquels les vieillards qui se réchauffaient les os, assis sur le perron des maisons et voyant Noël se rapprocher aimaient à répéter : "A la sant Marti, la lèbre es pel cami, a Nadal la lèbre es al pè de l'ostal"*.


C'était un pâle dimanche et Louise n'était pas au bout de ses surprises...


A suivre...


*A la Saint Martin, le lièvre est dans le chemin, à Noël il est au pied de la maison.


Rendez-vous la semaine prochaine pour le vingtème épisode de cette saison 2, intitulé "Un dimache à la campagne"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Mercie à Jean-Claud Rouzaud pour la photo d'illustration


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