top of page
Rechercher

S2 - Chapitre 13 - Au café de Florac-Lauragais

Dernière mise à jour : 10 août 2021

Le café Baptiste était une institution floracaise. Certaines âmes locales disaient même que le village avait été construit autour. La vérité était qu'il focalisait toutes les attentions. D'une part, il était un bistrot-épicerie et cela fournissait bon nombre de prétextes très commodes à certains assoiffés qui avaient toujours une boîte de bouillon Kub ou une bouteille d'huile à acheter. D'autre part, il était le lieu où convergeaient et d'où repartaient toutes les informations locales qu'elles fussent tirées de La Dépêche qu'on y vendait ou des on-dit qu'y échangeait la clientèle.


Sur la petite façade de bois peinte en marron foncé était tracé en lettres crème "Café Baptiste". De Baptiste il n'y avait jamais eu mais disait-on le peintre chargé de l'affaire avait mal calculé son affaire et n'avait pas eu la place de tracer Baptistine qui était le nom de la mythique patronne d'alors qui était plus importante encore que le maire dans la vie de Florac. Mais, en novembre 1952, de Baptistine, il n'y avait plus non plus. Feue la patronne était morte avant-guerre et le café avait été vendu par son neveu, son seul héritier. Depuis près de quinze ans, il était donc tenu par Antoinette et Jeannot Albouy, un couple d'Aveyronnais qui s'étaient portés acquéreurs. Jeannot - que certains s'entêtaient à appeler Baptiste eu égard à l'enseigne - campait derrière son comptoir toute la journée durant quand Antoinette trônait près de la caisse et des étagères de l'épicerie.


Dans le café, des chaises de bois sombre entouraient des guéridons dépareillés, le long d'un mur des banquettes fatiguées permettaient de s'installer autour de tables aux plateaux de marbre ébréchés surmontant de lourds pieds de fonte. C'était le coin des beloteurs. Dans une pénombre relative, s'y disputaient quotidiennement des parties de cartes acharnées. Les plus assidus étaient Amédée de Borda Blanca, Aristide, l'ancien fermier des Delors, Louis Meunier, le peintre et Paulin Lemestre qui avait fait sa carrière dans l'étude d'un notaire de Castelnaudary avant de revenir s'installer à Florac, son village natal.


Dans un coin, près d'un pilier, sous le panonceau de fonte émaillée indiquant Licence IV. était assis le vieux Charles qui d'anisette en paquet de tabac gris menait une activité effrénée. Nul autre que lui ne pouvait occuper ce guéridon sans qu'il ne fît scandale absolu. Certains disaient en riant que la proximité de l'affichage de la règlementation des débits de boisson et du panneau licence IV donnaient à ses yeux une légitimité aux excès alcooliques dont il était coutumier.





Léonce Bourrel de la Borde Perdue y venait de temps à autre mais il ne s'était pas présenté depuis son accident de vendanges qui ne lui permettait plus de circuler aussi librement qu'il l'aurait souhaité. Et pourtant ce matin-là, sa famille était au centre des conversations du petit troquet. Tout en recomptant les points d'une mène que Paulin Lemestre contestait - il était sûr qu'ils avait compté deux fois le" dix de der" - Aristide demanda d'un air innocent mais suffisamment fort pour être entendu de toute l'assistance :


— Vous avez entendu ce qu'on dit au sujet des incendies des métairies de Belloc à Penens ?

— Non ? relança Antoinette depuis l'épicerie alors qu'elle était occupée à réaligner des boîtes de Phoscao sur un rayonnage.


Les autres joueurs pas plus que le vieux Charles ne semblaient comprendre à quoi il faisait référence.


— Vous n'avez rien entendu dire ? s'étonna Aristide. Ah bon... Eh bien, dans ce cas, ce n'est pas à moi de vous le dire...


Il fit mine de battre en retraite avec son information capitale, suscitant la réprobation générale.


— Quand on lève la lièvre*, on a la politesse de la poursuivre ! jeta Antoinette en déplaçant une caisse de pommes.

— Oui, dit Paulin sans lâcher des yeux le recomptage des points du pli qu'il contestait. Tu ne peux pas nous dire cela au coin d'une phrase puis plier les gaules et faire comme si de rien n'était, ça ne se fait pas. Un point c'est tout !

— D'ailleurs avec le dix de der - que je ne compte qu'en fois ! - nous avons quatre-vingt douze points ! C'est bien ce que je disais tu m'as fait recompter pour rien !


A la vérité, chacun dans le café savait bien ce qu'Aristide allait dire mais tous trouvaient plus aisé qu'il lançât le sujet, ils n'auraient pas à le faire.


— Et alors ces incendies de Penens ? demanda Amédée en réunissant les cartes pour distribuer à son tour. Coupe !

— On dit qu'ils occupent beaucoup les gendarmes actuellement, reprit Aristide sur un ton mystérieux et de l'air entendu de celui qui en sait plus que les autres. Et s'ils occupent les gendarmes...

— C'est qu'ils ne sont pas accidentels ! compléta Amédée. Valet de pique ! Tu prends ?

— Envoie ! confirma-t-il

— Il prend sans regarder ! se lamenta Louis Meunier, son partenaire

— T'inquiète...

— On joue pas à la parlante ici ! Alors ces incendies ?

— Eh bien, il paraît que les gendarmes tournent beaucoup autour de la Borde Perdue... Ils ont l'air de penser que les Bourrel pourraient en vouloir suffisamment à leur ancien patron pour...

— Plus fort ! j'entends pas d'ici, se lamenta Antoinette, en replaçant des boîtes de biscuits Brun.

— Je disais que les gendarmes vont souvent à la Borde Perdue ! reprit-il en beuglant.

— Moins fort ! Tu es fou ! ordonna Jeannot depuis le comptoir.

— Oui mais moi j'entends pas d'ici...

— Mais imagine que quelqu'un entende depuis la place dehors, s'inquiéta-t-il... Nous, on a rien à dire là-dessus, quand on a un commerce, on la boucle.


Il avait rendu son verdict tel un souverain trônant au milieu des siphons, des bouteilles colorées de Get, d'Ambassadeur, de Dubonnet, de pastis, d'anisettes et d'alcools de toutes sortes. Le silence se fit un moment dans le petit café. On n'entendait plus que le choc sourd des mains qui s'abattaient les unes après les autres sur la table pour déposer une carte au centre du tapis.


— Ces Bourrel, moi, je ne les connais pas beaucoup mais j'ai quand même un avis à leur sujet, s'aventura alors Paulin Lemestre.

— Ah bon ? Et lequel ? l'interrogea Louis sans quitter des yeux son jeu, un peu dubitatif.

— Je dis simplement que ces gens sont là depuis un an bientôt et qu'ils n'ont pas lié connaissance avec grand monde. Comme s'ils se tenaient un peu à l'écart.

— On ne peut pas dire ça, le corrigea Jeannot. Léonce Bourrel vient assez régulièrement ici. Il prend un Bartissol ou une anisette. Parfois deux ou même trois. Il est plutôt jovial et aimable.

— Mais on ne voit jamais le reste de sa famille... remarqua Paulin.

— Comment pouvez-vous dire ça ? Les femmes viennent souvent à l'épicerie, on le voit à la messe. Bien-sûr, ils ne sont pas là tous les jours mais ils ont leur travail et la Borde Perdue n'est pas tout près du centre du village... tenta Antoinette.

— Moi je te dis que ces gens ne m'inspirent pas confiance et qu'ils foutraient le feu que ça ne m'étonnerait pas ! s'exclama Aristide en coupant l'as de carreau de Paulin. Tu n'es pas d'accord avec moi Jeannot ?

— Oh tu sais quand on a un commerce, on ne peut pas...

— Je vais te le dire, moi ce qui vous dérange chez les Bourrel, dit Antoinette en abandonnant au hasard l'alignement de tablettes de chocolat Poulain qu'elle avait entrepris.


Elle traversa la salle du café pour rejoindre les joueurs.


— Bonjour Madame, lui redit au passage le vieux Charles que l'alcool empêchait désormais de la reconnaître.

Antoinette ne s'en émut pas;

— Je vais te dire, moi, ce qui vous dérange...

— Quand on a un commerce, tenta de la couper Jeonnot en lui faisant de très - très - gros yeux.


Mais rien ne pouvait la retenir désormais.


— Ce qui vous dérange, reprit-elle. C'est qu'ils ne sont pas d'ici les Bourrel. Ils ne sont pas de Florac et ça, c'est leur tort principal à vos yeux..

— Mais enfin Antoinette pourquoi dis-tu des choses pareilles ? se choqua Achille

— Je dis ça, parce que Jeannot et moi sommes installés à Florac depuis près de quinze ans. Et que se passe-t-il ? Hein ? Que se passe-t-il ?


La partie de belote s'était même suspendue tellement la surprise des clients était grande.


— Il se passe que quinze ans plus tard, pour vous tous à Florac, nous sommes toujours les Aveyronnais, Jeannot et moi. C'est comme ça que les gens nous appellent. on est un peu du village mais pas encore complètement... On n'est pas des "historiques ". ce jour viendra-t-il ? Je n'en suis pas sûre... Eh bien c'est pareil pour les Bourrel ! Ils sont suspects parce qu'ils ne sont pas de Florac !

— Calme-toi Toinette ! intervint Jeannot.

— Non je ne me calmerai pas parce que la vérité elle est là et pas ailleurs...


Louis Meunier, qu'on n'avait pas beaucoup entendu, prit la parole à son tour :


— Je crois que tu n'y es pas tout à fait Antoinette, je ne dis pas que tu n'as pas raison, non mais je crois que tu n'y es pas tout à fait. En réalité, ce qui nous ennuie, c'est le tort que cette affaire pourrait porter à un Floracais.

— Lequel ?

— Notre faure, le forgeron, Etienne Pech. Tu comprends ce pauvre de lui a marié sa fille veuve - que c'était déjà assez malheureux - avec ce Germain Bourrel et maintenant il la retrouve dans une maison de potentiels incendiaires. Chez des criminels. Tu comprendras que l'affaire n'est pas confortable.

— Mais ce n'est pas parce que les gendarmes se questionnent que les Bourrel sont coupables, s'indigna Antoinette.

— Tsss... Tsss... firent les belotes d'un air entendu.

— Moi, ce que je dis d'Etienne Pech, reprit l'épicière avant d'être interrompue par son mari.

— C'est que quand on a un commerce, on se tait...


Et la conversation vint mourir contre la porte d'entrée du café s'était ouverte. Etienne Pech venait d'entrer à son tour pour boire son Quinquina quotidien.


A suivre...


* occitanisme


Rendez-vous la semaine prochaine pour le quatorzième épisode de cette saison 2, intitulé "Chez le bouilleur de cru (travaux d'automne) "


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Merci à Bruno Alasset pour la photo d'illustration.


188 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page