top of page
Rechercher

S2 - Chapitre 12 - Dépouiller le maïs à la veillée

Deux, peut-être trois jours plus tard, la bicyclette de Jeanne avait retrouvé une allure plus que correcte sinon flambante. Anselme et Edmond qui aimaient plus que tout faire plaisir à Louise avaient mis tout leur coeur à graisser le pédalier, redresser une roue voilée, regonfler les pneus, dépoussiérer le cadre ou encore régler la selle au ressorts rouillés. Ne manquait qu'un bon coup de peinture au regard des travaux extérieurs, cela attendrait encore quelques jours peut-être quelques semaines.


— ça ne m'empêchera pas de rouler, va ! avait affirmé Louise en souriant. Merci les garçons !


Ils avaient rosi de plaisir face au contentement de la jeune femme.


— Ce qu'ils peuvent être couillons ! s'était esclaffé Angelin en les regardant ainsi gênés.


Le lendemain, en fin d'après-midi, elle s'élança sur les routes lauragaises en direction de la Borde Perdue. Bine-sûr, elle n'était pas partie sans avoir veillé à ce que tout fût facile pour Miette, Virgile et Angelin. Le repas était prêt, maintenu au chaud dans une ola sur la plaque en fonte près du feu de cheminée, les devoirs des enfants avaient été scrupuleusement vérifiés par ses soins.


— Vous pouvez dormir, là-bas si vous les souhaitez, Louise, avait répété Angelin, inquiet plusieurs fois. Nous nous en sortirons vous savez ?

— Il n'y a plus de place pour moi et je ne vais pas dormir dans le foin. Et puis je tiens absolument à être là au réveil des enfants pour les accompagner à l'école.

— Promettez-moi d'être prudente, Louise. Surtout au retour lorsqu'il fera nuit noire.

— Je vous le promets Angelin. J'ai ma pèlerine, ma lampe à carbure pour le retour alors ne vous inquiétez pas. Je la tiendrai accrochée au guidon et ferai bien attention. Et puis j'en ai pour vingt minutes au maximum.


Le jour déclinait déjà lorsqu'elle partit. Le vent de Cers sifflait à ses oreilles alors qu'elle dévalait les chemins ondulant au gré des vallons du Lauragais. La fraîcheur des dernières journées d'octobre la mordait aux chevilles et cinglait ses pommettes. Elle repensait que depuis son départ, deux mois plus tôt, elle n'était pas revenue à la Borde Perdue en dehors du jours des noces de Solange et Germain. Faute de temps, se dit-elle d'abord. Mais à bien y réfléchir, Louise se rendit compte, si elle voulait être honnête avec elle-même, qu'elle avait aussi une certaine appréhension à surmonter.

Elle les avait revus régulièrement, les Bourrel, dans d'autres circonstances. A Florac surtout. A l'église, à l'épicerie, sur la place ou devant l'école. D'ailleurs, la veille, elle avait pu prévenir Elia de sa visite.


La date n'avait pas été choisie au hasard.


— Viens donc demain soir si tu veux, on est en retard pour le maïs mais on en a ramassé enfin. On va descolefer. Tu souperas avec nous puis on s'y mettra, lui avait dit Elia en quittant la petite épicerie.


Cette perspective convenait bien à Louise. Elle se rendrait utile et sa visite ferait moins solennelle. Evidemment, il lui faudrait affronter la présence de Germain. La distance et le temps avaient un peu mis en sourdine sa douleur mais pas ses sentiments. Elle redoutait que ce moment ne les ravivât trop douloureusement.





Lorsqu'elle arriva à la Borde Perdue, entre chien et loup, Hélène et Gabriel se précipitèrent pour l'accueillir. Ils se serrèrent dans les bras. Un peu en arrière, se tenait un garçon que Louise ne connaissait pas.


— Je te présente Marcel, il travaille ici pour quelques temps et nous en avions grand besoin, s'enthousiasma Hélène.

— Bonjour Marcel, dit simplement Louise.

— Bonjour Louise, j'ai beaucoup entendu parler de vous, vous savez. Je ne suis là que depuis deux semaines mais j'ai l'impression de vous connaître. Ces deux-là n'ont que votre prénom à la bouche !

— Allez, viens Tantine, on rentre, dit Hélène en la prenant par les épaules.


A l'intérieur, elle retrouva la famille réunie autour de la table qu'on avait déjà dressée pour le pas perdre de temps pour la tâche qui suivrait dans la soirée. Les retrouvailles furent moins dans l'effusion qu'avec les jumeaux mais la vieille Juliette pressa fort dans ses mains celles de Louise. Elle était si heureuse de la revoir.

Solange la salua poliment, Louise lui demanda des nouvelles de sa santé, de sa grossesse. La jeune femme répondit avec la courtoisie de rigueur mais quelque peu évasivement. Louise n'insista pas.

Quand Germain parut enfin à son tour, venant de s'occuper des bêtes à l'étable, il la salua avec beaucoup de chaleur. D'évidence, il était heureux de la revoir.


La soupe brûlante fut bientôt déposée sur la table et lorsqu'on retira le couvercle de la soupière, des volutes de vapeur rejoignirent le plafond en dessinant des arabesques éphémères.


La discussion s'enclencha assez rapidement sur les derniers événements. Les gendarmes, venus et revenus, avaient posé des questions que les Bourrel avaient jugées intrusives et orientées.


— Nous sommes les incendiaires pour eux, il n'y a pas à tortiller ! Je vois d'ici ce que Belloc a dû leur dire à notre sujet, s'indigna Léonce. Si jamais, ils se représentent une fois de plus, je leur vole dans les plumes...


Il s'écoula un peu de temps durant lequel de grand bruits mouillés d'aspiration accompagnèrent l'ingestion du bouillon trop chaud dans les cuillers puis Louise reprit :


— Je crois que ce n'est pas la bonne solution, Léonce si je puis me permettre...

— Je ne fais que le lui dire ! s'agaça Elia. Dis-le lui toi-aussi !

— Je pense qu'il vaut mieux faire le dos rond. Chacun d'entre nous ici sait que l'incendiaire est ailleurs. Même si ce n'est pas agréable, il vaut mieux répondre avec calme aux questions et laisser filer...

— Laisser filer ? Mais nous sommes innocents et on voudrait faire de nous des coupables pour arranger je ne sais qui. J'ai mon honneur, moi, Louise ! Et il est hors de question que je le laisse piétiner...

— En l'occurrence, tu es pourtant hors de cause, avec ton plâtre ! lui rappela Gabriel.


Et la tablée, qui n'avait guère le coeur à la gaieté, se laissa pourtant aller à un tonitruant éclat de rire.


— Quand on est innocent, il faut le maintenir avec fermeté. haut et clair. Mais sans s'emporter, insista Louise. et peut-être... Peut-être qu'avec un peu de chance le coupable sera démasqué...

— Mmmh... m'étonnerait, commenta Marcel dubitatif, la bouche pleine.


Le reste du repas fut rapidement avalé, la table débarrassée. Louis retrouva ses habitudes au sein de la borde comme un réflexe. Puis tous se dirigèrent vers la grange où les attendait un impressionnant tas d'épis de maïs qu'il faudrait mettre à nu.


Des petits tabourets de bois et des souches avaient été disposés tout autour, quelques paniers permettraient d recueillir les épis jaune d'or avant de les remettre en saches. Ils rejoindraient ensuite rapidement le crib. Deux ou trois lampes éclairaient le lieu de leurs flammes dansantes.


— Les Mandoul ne viennent pas nous aider ? demanda Louise en s'installant.

— Les Mandoul, depuis l'affaire du tracteur, si tu n'as besoin de rien tu peux les appeler. Rien n'est jamais redevenu comme avant, ironisa Léonce.


— Et toi Louise ? osa Germain au bout d'un moment, raconte-nous un peu ta vie à Montplaisir.


Chacun prenait son rythme, se saisissant de la cabosse, la dépouillant dans un bruit de feuilles sèches avant de la jeter dans le panier. Les automatismes abandonnés depuis une année revenaient vite.

Louise raconta tout, du malheur d'Angelin à son accompagnement auprès de Miette et Virgile, les facéties d'Anselme et Edmond. Le jeune Marcel n'en perdait pas une miette en faisant travailler ses mains habiles.


— Moi-aussi, j'ai eu mon lot... Je suis un enfant des routes et des chemins. J'ai perdu mes parents, l'un après l'autre et très vite, quand j'avais seize, dix-sept ans. Ils étaient brassiers eux-aussi. Depuis, je gagne ma croûte un peu comme je peux de maison en maison. On ne me traite pas toujours comme ici.

— Que veux-tu dire ? s'étonna Louise.

— Que, parfois, j'ai droit à un coin d'étable ou de grange, un vieux croûton pour tout repas... Quand on n'oublie pas de me payer à la fin de mes tâches... Parfois même on me chasse sous un faux-prétexte pour n'avoir pas à régler mon solde mais je suis un peu teigneux...

— Si c'est pas malheureux, s'indigna Germain.

— Je n'aurais jamais cru que des gens puissent faire ça, dit Hélène en regardant Marcel, profondément bouleversée.


La soirée se poursuivit. On but un peu de vin ou, selon, un peu de tisane pour faire une pause. Les tas des fanes augmentait quand les cabosses dorées révélaient tout leur éclat.


Il n'était pas loin de minuit quand Germain suggéra :


— Je crois que nous allons nous arrêter là. Et puis, Louise, il faut que tu rentres, il se fait bien bien tard. Tu me promets d'être prudente ?

— N'aie crainte, Germain, tout ira bien.


Elle fut touchée intérieurement de l'attention qu'il lui portait à cet instant. Elle les embrassa les uns après les autres, leur fit promettre de tenir bon face à l'adversité et de venir la faire prévenir si quelque chose n'allait pas. Elle promit aussi de revenir bientôt. Sans s'avancer sur la date.


Elle se couvrit, alluma la lampe qu'elle devrait tenir en pédalant et regagna l'endroit ou était appuyée sa bicyclette. Hélène l'accompagna.


— Ne reste pas là, tu vas attraper froid, lui conseilla Louise.

— Tu me promets de revenir bientôt ?

— Si toi, tu me promets d'être prudente... avec Marcel...

— Quoi... mais enfin... que veux tu dire ? bredouilla la jeune fille rougissante


Louise sourit devant sa gêne. Dans la lueur de lampe, les yeux d'Hélène brillaient d'un feu aussi luisant que ses sentiments tout neufs.


— Hélène, tu ne m'as rien dit. Mais crois-tu que je n'ai rien deviné ?

— Je...

— Ne dis rien... Fais juste bien attention s'il te plaît. Et veille sur eux tous, je vois bien qu'ils sont soucieux... Tu me promets de me dire dès que quelque chose n'ira pas ?- Promis tantine !


Elle l'embrassa une dernière fois puis s'éloigna après avoir calé la lampe maladroitement. Hélène regarda longtemps le halo s'éloigner. Jusqu'à ne devenir qu'un tout petit point dans la nuit noire. Son père l'avait rejointe et regardait lui aussi le point de lumière diminuer.


— Ah Louise... soupira-t-il doucement en entraînant doucement Hélène par le bras vers l'intérieur de la métairie.


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le treizième épisode de cette saison 2, intitulé "Au café de Florac-Lauragais "


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Merci à Serge Arnaud pour la photo d'illustration.


176 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page