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Nouvelle d'été : Autan... que ça bouge (épisode 1)

Dernière mise à jour : 5 janv.

Voici une nouvelle en deux épisodes. C'est une fantaisie sur le vent d'autan et l'Occitanie écrite l'année dernière et qui a obtenu le 3e prix du concours de nouvelles de la Section Régionale Interministérielle d'Action Sociale d'Occitanie en 2021. Du haut d'un promontoire, un vieil homme au soir de sa vie contemple les paysages dans lesquels il a évolué et engage une discussion avec le vent d'autan....

Le long du chemin escarpé, les genêts, les cades agrippent mes chevilles comme pour ralentir ma course. Ma progression est lente pourtant. Des pierres que je dérange roulent sous mes pieds pour se caler quelques centimètres plus bas. Mes jambes semblent à peine vouloir me porter. Je suis un vieil homme, c’est ainsi qu’elles me le signifient désormais. Mais, malgré l’effort que cela me demande, quelque chose m’attire vers le haut, vers ce promontoire dont je ne me lasse pas et d’où je vois la Méditerranée scintiller les jours de beau temps, les névés briller d’un éclat de diamant sur les Pyrénées et d’où, en plissant les yeux, je distingue même les contreforts sombres de la Montagne Noire. Une vie entière à refaire ce chemin sans m’en lasser. Jeune homme, il suffisait que je le décide et, depuis la borde, il ne me fallait que quelques minutes pour réaliser cette ascension. Je courais alors. Rien ne pouvait faire obstacle à ma progression. Aujourd’hui les choses sont différentes.

Mais là-haut, je sais que se trouve le petit banc de pierres naturelles. Il n’est pas très confortable mais il est situé idéalement. Où que je lance mon regard, la nature m’envoûte. D’ici je caresse les plaines, je frôle les vallons, d’ici je survole les forêts, les pierres et les rochers, d’ici je vois les champs et je distingue les villes, d’ici je vois les canaux et les ruisseaux, d’ici je vois l’eau et les nuages, le soleil et la terre, les arènes, les stades, d’ici l’Occitanie est mienne. Ici, je n’attends personne et personne ne m’attend. Que le petit banc.

Pourtant aujourd’hui, je n’y suis pas seul lorsque je m’assois enfin. Il est là, lui aussi. Le dérangeant compagnon. L’ami indésirable.

Il me bouscule, profite de ma sénile fragilité pour me déséquilibrer un peu. Il joue avec mes vieux jours chancelants. Je vais m’installer entre ciel, terre et mer et il va me gêner. Comme chaque fois qu’il est là, l’espiègle.


— Saleté de vent d’autan, maugrée-je

— Tu ne m’aimes pas, n’est-ce pas ? chuchote-t-il à mon oreille. Tu es bien comme tous les autres… ceux d’avant et ceux de maintenant, ceux de tous temps.


Car, pour l’instant, il murmure encore. Mais je le connais par cœur. Il va monter en pression, se mettre à hurler bientôt.

— Pourquoi dis-tu cela ? demandé-je

— Parce que tu râles et que tu pestes, tu as beau marmonner dans ta barbe, je sais que je t’agace.

Il a raison, mon vieux compère. Mais il n’est pas raisonnable et il le sait.

Souvent je lui en ai voulu lorsque quelques jours avant la récolte, il jouait un peu trop fort avec les épis. Il moissonnait mes champs mûrs juste avant que je n’aie eu le temps de le faire, répandant les grains au sol, couchant les tiges dorées comme pour me narguer. Ou bien, ce farceur, soulevant les andains de fourrage de grain qui séchait, le déposait en bataille dans le champ du voisin. Nous le récupérions, pestant et râlant, à grand peine et grands coups de fourches en direction des charrettes.

— Ingrat que tu es, souffle-t-il. Tu ne retiens que quelques rares accidents. Te souviens-tu des ondoiements ?

Il sait jouer de mes sentiments, le bougre. En effet. Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau que lui soufflant sur les champs de blé d’abord pour les faire frémir lorsqu’ils sont bas et verts en hiver. Plus tard dans la saison, il les caresse pour provoquer ces vagues merveilleuses à la surface des épis lorsqu’ils sont blonds. Le chuintement de la paille et des barbes est sans nul doute ce que j’ai entendu de plus mélodieux. Elle est là, la chanson joyeuse de l’été qui s’annonce… et ce sont les blés qui la chantent dans la douceur de l’air ambiant. Pendant qu’au loin sur les collines, les reflets dorés se changent en bruns doux avant de reprendre leur teinte ocre et il en est le seul artiste, ce peintre de génie. De ma vie entière, je n’ai pu me lasser de ce spectacle sans cesse renouvelé.



— N’as-tu pas été heureux de voir les tout derniers moulins de tes ancêtres griffer le ciel bleu lorsque je m’engouffrais dans leurs ailes entoilées alors que tu n’étais qu’un enfant ? Les meules de pierre broyant le grain pour en faire cette farine si blanche et si légère, cette farine à l’odeur délicate. Et je sais qu’aujourd’hui tu regardes avec admiration les pales des éoliennes que je pousse inlassablement. C’est moi qui fais le travail…

— Toi ou…

— La Tramontane, évidemment. Ça m’aurait étonné que nous n’y venions pas. Elle trouve toujours grâce à vos yeux, n’est-ce pas ? Je ne comprends pas votre indulgence à son sujet. Votre indulgence éternelle. Alors qu’elle souffle deux fois plus que moi, vous oblige à remettre un gilet quand vous êtes bras nus.

— Elle dégage l’horizon sur la mer, dissipe les entrées maritimes…

— Mais qu’est-ce qu’elle connaît de la mer ? Je suis fils de la mer, j’ai hérité de sa fougue, de son nom. Je suis l’Alta, je suis l’Auta alors qu’on me pardonne mes excès. Et puis toi qui n’as pas bougé d’ici comment saurais-tu sans moi le parfum de la mer l’été ? Les embruns que je soulève à chaque ressac ? Les cris joyeux des baigneurs poursuivis par l’écume ? Les rires des enfants sur le sable ? L’exclamation des mouettes qui criaillent et volent vers le large derrière les chalutiers pour revenir aussitôt ?

Je souris. Sans même m’en apercevoir. Il reprend en rafale :

— Ce n’est pas moi qui crible les estivants de sable sur leurs serviettes, leur trouble la vue, c’est elle ! Moi, je les rafraîchis quand ils s’endorment au soleil. Je souffle dans les voiles de leurs frêles esquifs qui prennent la mer. J’envoie haut leurs cerfs-volants jusqu’à chatouiller les nuages.

Je me souviens des enfants, lorsqu’ils étaient petits, de leurs éclats de rire et de leur émerveillement lorsque le fil se déroulait quand le leur avait pris le vent et s’élevait pour tournoyer au-dessus de nos têtes. Il dessinait des heures durant des arabesques un peu folles, balloté entre les pattes de l’Autan comme l’aurait été une balle entre celles d’un chat.

— Ça les rendait, heureux n’est-ce pas ? siffle-t-il

Oui, ça les rendait heureux. Comme les courses folles au milieu des collines parmi les graminées agitées et les orchidées sauvages qui ployaient légèrement sous la bourrasque. Les cheveux plaqués au visage, ils tombaient et roulaient au milieu des sauterelles, leurs rires étaient mon plus beau cadeau.

— C’est quand-même toi qui joues les fossoyeurs de l’été ensuite…

— Il en faut bien un. Et c’est déjà préparer l’été suivant…


A suivre... à la semaine prochaine...


En avril, le feuilleton "Ceux de la Borde Perdue" est paru aux éditions Il Est Midi. Le livre est disponible commande chez votre libraire, au Tabac Presse Massip à Baziège, à la Librairie du Beffroi à Revel, à la librairie Calmy à Castelnaudray et à Hyper U Villefranche de Lauragais mais aussi les plateformes habituelles .


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Renseignements mail/contact : contact@bordeperdue.fr


Je vous souhaite un bel été

Sébastien



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