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Conte d'été : L'horloge de Saint-Frisac (Partie 1)

C’était en des temps reculés mais peut-être pas autant qu’on le croirait. Le Lauragais était déjà cette région de vallons doux à l’horizon si délicatement onduleux. Les collines érodées par la détermination du vent d’autan et son alliance alternative avec le vent de cers étaient soulignées de bosquets sombres piquetés de chênes verts et fendues de chemins sinueux qu’empruntaient bêtes, piétons, paysans, muletiers et charretiers. Au creux des plaines, les grandes routes et le canal amenaient le visiteur avant de le raccompagner pour se rendre compte, peut-être, qu’ailleurs rien n’était si beau.


Pays de cocagne puis pays de blé, on n’aurait su compter les parcelles enchâssées les unes aux autres où alternaient alors rangées de vignes, épis et tapis de foin. Dans les conversations fleurissaient les mots d’esparcette, de sainfoin, de paumelle, d’étoile de Choisy…

Tout semblait ainsi réglé pour durer l’éternité et même un peu plus de grains en épis, de fauchage en récolte, de moissons en battages, de vendanges en eau de vie, de levers de soleil en « rouge couchant, demain beau temps »…


On dit pourtant qu’une année, que nul ne saurait citer précisément tant les mémoires et le temps érodent les souvenirs pour les muer en légendes, ce cycle s’interrompit de la plus étrange des manières. Plantes, hommes et bêtes en furent durablement perturbés dans ce hameau qu’on ne saurait retrouver et qu’on appelait alors Saint-Frisac.


A l’hiver, rigoureux cette année-là, succéda pourtant bien le printemps comme tout le monde en Lauragais s’y attendait. Les flancs des collines lauragaises verdoyèrent de la plus belle façon. Les vert tendre des jeunes pousses se muèrent en des verts plus profonds, les fleurs des arbres devinrent des promesses de fruits sucrés. Les blés que les paysans surveillaient avec attention tallèrent comme on s’y attendait tandis que les champs de foin semblaient se préparer à la première coupe.


Lorsque le printemps arriva à maturité et qu’on n’attendait plus que l’été, tout sembla pourtant se pétrifier, se figer, s’assoupir. Antonin de La Borie qui travaillait une métairie à deux paires de labourage fut l’un des premiers à s’en trouver intrigué. A la période où le blé aurait dû croître presqu’à vue d’œil, il s’étonna de son absence d’évolution un jour, deux jours puis trois. Une semaine se passa et… toujours rien. Pas le plus petit changement. Antonin s’inquiéta encore plus lorsqu’il s’aperçut que les premiers fruits sur les ceps de vigne et les jeunes pommes sur les fruitiers ne poussaient pas davantage. Rondes comme des billes, les cerises étaient en bonne santé mais ne changeaient plus de couleur. Soudain immuables.


Fort marri de sa découverte, Antonin courut sur la place du hameau de Saint-Frisac en faire part à quiconque il rencontrerait. En remontant le chemin, il s’époumonait déjà. Conscient de la gravité du moment, saisi par l’urgence, il braillait et s’agitait comme un beau diable. Ses mains tournoyaient au-dessus de sa tête hirsute aux épis en bataille. La lueur qu’on trouvait dans ses yeux était celle d’une incompréhensible folie. Il en était effrayant.

— Vous avez vu ? Non mais vous avez vu ?

Personne ne comprenait ce qu’il bredouillait et criaillait. Un instant, on le crut poursuivi par quelque bête ou quelque ectoplasme. On s’étonna même au village de le voir dans un pareil état de confusion. Antonin était un homme d’ordinaire plutôt pondéré, sage et réfléchi. Le voir en pareil état en perturba plus d’un.

D’ailleurs, le forgeron déclara, sûr de son diagnostic :

As vist Nòstre Sénher pel dosilh !*

— Mais non, voyons ! Pas Tonin ! s’exclama la vieille Adèle qui équeutait des haricots dans son tablier sur le pas de sa porte.

Elle faisait figure de sage du village.

— Tonin, Tonin, respire un peu et dis-nous ce qui t’arrive.






Le hameau avait beau être de petite taille, un raffut pareil avait rassemblé tout ce qu’il comptait de population disponible à cette heure du jour et ils étaient maintenant une bonne dizaine à se presser autour du possédé qui essayait de s’exprimer.

— Mais qu’est-ce que tu racontes, arpalhand ? Le printemps ? Arrêté ? Enfin, a-t-on jamais entendu pareilles colhonadas ? s’esclaffait Pitraque qui travaillait plus de trente hectares pour combattre pareille perspective qui le faisait frémir.


Pourtant, passé le temps de l’ironie et de l’effroi, tous durent se rendre à l’évidence, la trouvaille d’Antonin ne semblait pas être une faribole mais bel et bien la réalité.

De ce jour-là, au milieu des champs, en lisière des bois, au bord des fossés, sur les frondaisons des buissons, on ne vit plus alors que des hommes, des femmes et même des pichons penchés pour reluquer avec la plus grande acuité dont ils étaient capables toute branchette, ramille, ramure, foliaison, fleurette à la recherche du moindre signe d’évolution. Rien. Tout semblait assoupi comme si la nature avait renoncé à respecter le temps qui s’écoulait. On s’en amusa d’abord, on s’en étonna ensuite, pensant qu’il ne s’agissait que d’un caprice passager. On interrogea les plus vieux pour savoir s’ils avaient déjà constaté pareil phénomène mais rien. D’aussi loin qu’ils se souvinssent, jamais ils n’avaient entendu parler d’un pareil phénomène.


Bien sûr et très rapidement, ce hameau du Lauragais dont les fruits ne poussaient plus et dont blés et foins ne croissaient pas davantage fit jaser. Quelle malédiction s’était-elle donc abattue sur Saint Frisac ? Quel péché ses habitants payaient ils donc ? Car, alentours, au-delà des limites du hameau, les plantes continuaient leur cycle de vie. Ces mêmes anciens qu’on avait questionnés en vain, à la réflexion, ne virent pas que des inconvénients à la situation. Si le temps s’était figé, peut-être leur séjour terrestre s’en trouverait-il prolongé d’autant et peut-être même à l’infini ? Les plus fringants se disaient qu’ils demeureraient ainsi dans la force de l’âge, indéfiniment.


Mais il fallut bientôt se rendre à l’évidence : sans récolte, sans foin pour les animaux, sans fruit pour se nourrir, sans farine pour faire du pain, la disette guettait Saint-Frisac… on ne voulut pas céder à la panique mais la tentation était grande. Les plus croyants prièrent le Ciel, implorant son pardon pour une faute qu’on n’identifiait pourtant pas, invoquèrent sa clémence.


Puis on convoqua ce que le pays comptait de plus grands scientifiques qui convergèrent vers Saint-Frisac qu’ils eurent bien du mal à trouver, besaces, loupes à la main. L’un d’entre eux apporta même un sextant mais que pourrait-on bien en faire sur une mer de collines ? On ne sait jamais, dit l’hurluberlu. Ils observèrent, mesurèrent, testèrent, se réunirent, firent des conciliabules, émirent des hypothèses mais n’aboutirent pourtant à aucune conclusion satisfaisante.


Lorsqu’ils furent repartis, honteux, piteux et bredouilles, on convoqua les adobaires, les brueissas, les devinaires.**

Commencèrent alors les incantations et autres formules magiques. Certains répandirent sur le sol et les végétaux des potions dont eux seuls avaient le secret en prononçant des paroles mystérieuses que nul ne comprenait. Mais rien ne bougea : pas la plus petite griotte rougissante.

Qu’allait devenir Saint Frisac ?

(à suivre)


* IL a vu le seigneur par le fausset du tonneau

** mages, sorcières et devins


La seconde partie de ce conte vous sera proposée samedi prochain.

Parution du prochain roman le 25 octobre aux Editions du 38 : Le silence de la Combe

Vous pouvez visiter l'ensemble du site et avoir toutes les infos en cliquant ici : www.sebastiensaffon.com

Bel été !




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